J'aime pas l'odeur du café
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Tabarnak, Maxime, pourquoi t'as fait ça? C'est quoi ton ostie d'problème ? T'es fucké dans tête ou ben quoi? C'tun chat, y'est vivant crisse, pis y'a du sang partout. À quoi t'as pensé? C'est quoi c't'affaire là....ta-bar-nak!
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(…)
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Réponds, crisse, t'es capab' de parler! Explique-moi donc c'qui s'est passé dans ta p'tite tête de mongol, encore! Les fourmis c'pas assez? Tsé, Bedaine y fait partie d'la famille, lui...Pourquoi est-ce que t'as fait du mal à Bedaine, hein?
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(…)
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Attends-ben quand ton père va rentrer, y va t'en crisser une tu vas voir! Réponds, pourquoi t'as fait ça?
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(…)
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T'es pu capab' de parler ou ben quoi?
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Désolé, Maman.
Maman m'a enfermé dans ma chambre et puis après papa est venu me battre. Je suis resté enfermé deux heures avant qu'il arrive. Quand il est arrivé il criait déjà, je pense que Maman l'avait prévenu au téléphone. Même si j'étais dans la chambre, je l'ai entendu claquer la porte d'entrée. Maman criait aussi. Elle lui disait de me faire comprendre que « ça a pas d'bon sang ». Je sais toujours pas ce que ça veut dire, ça : j'ai pas un bon sang, moi ou le chat ?
Papa est entré dans la chambre en disant « tabarnak », plus fort que Maman. Sa voix me faisait peur. À la maison il est toujours en camisole. Là, il avait encore sa grosse chemise bleue. On dirait que ses yeux allaient sortir de sa tête. Il me faisait peur et j'avais déjà mal partout. Je voulais disparaître. Sa main cachait quelque chose derrière son dos.
À chaque fois qu'il revient du travail Papa a une odeur bizarre qui sort de sa bouche. Je pense que ça sent le café que maman boit le matin mais c'est pire. On dirait qu'il a moisi dans sa bouche.
Quand il s'est approché de moi avec sa main dans son dos j'ai tout de suite reconnu l'odeur. Elle était encore pire que d'habitude. Cette fois j'ai eu de la difficulté à rester en place, et j'ai dû faire un pas en arrière. Il s'est rapproché en disant : « pis tu recules, mon p'tit criss, toi aussi tu vas avoir mal, c'est comme ça qu'on apprend dans' vie ». Ça m'a fait vraiment peur quand il a dit ça. J'ai eu envie de reculer encore plus mais je l'ai pas fait, j'avais trop peur.
J'ai vu ce qu'il avait dans sa main quand il était tellement rapproché de moi que j'avais envie de vomir. Il m'a pris l'épaule avec sa main gauche et a ramené sa main droite en avant. Il tenait un des bâtons que j'ai déjà vus dans son atelier. Je savais que ces bâtons-là étaient durs et froids parce que je les ai déjà touchés. Je ne voulais pas pleurer mais je tremblais.
Papa m'a frappé quatre fois. Son premier coup a été sur mon épaule, ce qui m'a fait tomber par terre. Tout de suite il m'a frappé au ventre. Puis sur la cuisse et sur le tibia. J'ai cru que j'allais mourir tellement j'avais mal. Un gros frisson chaud est arrivé à ma tête d'un seul coup. J'ai cru qu'elle allait exploser. J'ai même pas pleuré, j'avais trop mal. J'ai seulement dit à papa que j'allais mourir parce que je ne sentais plus mon corps. Peut-être que si je n'avais pas dit ça, il m'aurait donné un cinquième coup. Heureusement que je l'ai dit.
Quand je suis rentré à la maison, j'ai souhaité fort de pouvoir retourner à l'hôpital mais je ne l'ai pas dit. Je ne parlais pas, je ne voulais plus jamais parler. Papa et Maman m'ont enfermé dans ma chambre. Ils ont enlevé tous mes jouets et Maman m'a dit : « ça fait jusse commencer, mon p'tit gars, y'é temps que t'aies une vraie punition ». Je ne pouvais pas beaucoup bouger. Maman venait me donner une soupe dégueulasse deux fois par jour. Le matin je mangeais du pain tout seul. Chaque fois qu'elle venait Maman me disait que « la vie c'est dur ». Je ne comprenais pas pourquoi elle me disait ça.
Je devais faire pipi et caca dans un pot que Papa avait mis dans ma chambre. C'était comme quand j'étais bébé. Papa ne voulait pas que je sorte de ma chambre, jamais. Il m'a dit le premier jour : « à part si y'a un feu, m'a v'nir te ramasser ». Ça sentait très mauvais dans ma chambre. Maman attendait toujours aux repas pour changer mon pot et des fois elle le laissait toute la nuit jusqu'au déjeuner, même si j'avais déjà fait quelque chose dedans avant le souper. La deuxième fois je lui ai dit que ça sentait très mauvais pendant la nuit et que l'odeur m'avait fait vomir. Elle m'a donné une claque sur la joue qui m'a même pas fait mal et elle est sortie de la chambre. Je n'ai pas pu boire mon bol de soupe.
Le sixième jour Papa est venu s'asseoir sur mon lit. Il m'a dit qu'il était temps de parler parce qu'il avait beaucoup de choses à me dire.
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J'espère que t'as pris l'temps d'réfléchir, p'tit gars.
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Oui.
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Est-ce que t'sais que c'est mal c'que t'as fait?
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Oui.
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Pourquoi ?
J'ai longtemps pensé avant de lui répondre. Je savais pas du tout quoi dire parce que je savais pas pourquoi c'était mal et parce que j'avais dit oui seulement pour pas qu'il soit fâché. Heureusement j'ai pensé à ce que m'avait dit Maman.
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Parce que Bedaine est vivant et y fait partie d'la famille.
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Pis explique-moi donc c'est quoi ton trip avec les fourmis? Pourquoi tu veux tout' les noyer?
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J'aime les regarder...nager.
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Pourquoi ?
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J'sais pas.
J'aimais pas comment Papa me regardait. Si ce n'était pas mon Papa j'aurais pensé à des trucs bizarres. Il me faisait un peu peur, il avait l'air de Golum. On dirait qu'il voulait me transpercer avec ses yeux. Il est resté comme ça un long moment avant de parler.
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Pis pourquoi t'as l'air d'une fille ? Je t'ai pas élevé d'même, y m'semble. Je t'ai jamais acheté du linge de fille, j'ai jamais pensé...quand t'étais dans le ventre de ta mère, j'ai jamais pensé que t'étais une fille. Pourquoi tu t'attaches les ch'veux d'même ?
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(…)
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Tu m'fais chier, crisse.
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Désolé, Papa.
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(…)
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(…)
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Pis, t'es-tu capable de marcher?
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Oui.
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Bon ben lève-toé, on va voir matante Hélène. Avant m'a t'raser les ch'veux.
Je sais que je n'aurais pas dû couper les poils de Bedaine, mais je savais pas qu'il en avait besoin pour marcher. C'est bizarre. Et j'ai pas fait exprès pour lui couper le bout d'une oreille. C'est parce que quand je lui ai coupé des poils près de la bouche pour une deuxième fois, il s'est tourné très vite et j'ai pas eu le temps d'enlever mon ciseau. Il était trop tard quand j'ai voulu arrêter de couper.
Je pense que c'est l'émission du samedi matin à la télévision qui m'a donné l'idée de couper les poils de Bedaine. Dans l'émission il y avait un monsieur qui faisait des coiffures aux animaux. Après, ils avaient l'air d'être des humains, c'était drôle. À ce moment-là j'ai pensé que j'aimerais pouvoir couper les cheveux de Bedaine pour faire comme dans l'émission. Après j'ai oublié.
Le jour où ça s'est passé, j'étais tout seul dans la cuisine avec Bedaine. Je jouais avec mes bonhommes comme tous les jours et Bedaine dormait dans le coin près de la table à manger. Ce jour-là, je faisais une rencontre entre Spiderman et Batman. Quand j'ai fait tomber Spiderman de la chaise, Bedaine s'est réveillé. Il a d'abord ouvert grand les yeux et il a relevé ses oreilles. Il nous a regardé, moi et Spiderman et puis il a rabattu ses oreilles. Ensuite il a gardé ses yeux à moitié ouverts. Il a penché un peu sa tête et a frotté son museau par terre. Il s'est étiré et il a bougé un peu son derrière avant de s'écraser complètement.
Je pense qu'il avait retrouvé sa position parfaite pour faire dodo. Il s'est relevé la tête comme pour me regarder une dernière fois et comment il m'a regardé j'ai trouvé qu'il ressemblait à Maman. Il lui ressemblait beaucoup trop et je l'ai trouvé très laid. Il était comme elle quand elle boit son café le matin. Elle se penche de la même façon sur sa tasse et on dirait qu'elle va s'endormir dedans.
C'est là que j'ai repensé à l'émission du samedi matin. Je ne voulais plus que Bedaine ressemble à Maman. Je voulais qu'il soit beau, comme les chats à la télévision. Alors je me suis levé et je suis allé prendre les ciseaux de couture que Maman laisse toujours sur le petit meuble blanc dans le corridor.
Quand je suis revenu Bedaine dormait encore. Je me suis approché et je lui a chuchoté que j'étais un coiffeur maintenant. Je lui ai dit que j'allais l'empêcher de devenir laid comme Maman et qu'il allait devenir beau, comme les chats à la télévision.